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Contribution du Mouvement pour l’Economie Solidaire à l’occasion des Etats Généraux de l’ESS - Juin 2011

Le Mouvement pour l’Economie Solidaire (MES)

Le MES (Mouvement pour l’Economie Solidaire) a été créé en 2002 par des réseaux nationaux (UFISC, CNLRQ, Artisans du Monde, fédération des Cigales…), des structures d’appui (ADEL), des chercheurs (CRIDA), des acteurs de terrain (APES, ARDES, APEAS…) autour d’une vision partagée de l’économie solidaire qui peut être définie comme « l’ensemble des activités de production, d’échange, d’épargne et de consommation contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens".

Développer la citoyenneté économique, encourager la coopération économique, promouvoir des relations équitables, œuvrer pour un développement solidaire et écologique des territoires, tels sont les principes sur lesquels se fonde l’action du MES.

Le MES s’appuie sur les valeurs de solidarité, de réciprocité, d’autonomie, de partage, d’égalité et d’équité.

Il considère l’économie solidaire comme un levier pour une transformation sociale et une alternative à l’économie libérale.

Le MES s’est engagé depuis le début dans les Etats Généraux de l’ESS aussi bien à l’échelle nationale en participant au lancement des Etats Généraux, qu’à l’échelle régionale en tant que co-organisateur.

Vers un projet partagé de l’Economie Sociale et Solidaire

1. Les Etats Généraux de l’ESS : un projet de transformation sociale

Les Etats Généraux de l’ESS se déroulent sur fond de crises : financière, économique et sociale.

Les Etats Généraux ont pour objectif d’apporter des réponses crédibles à cette crise : des réponses financières (primauté des personnes sur le profit, lucrativité limitée...), des réponses économiques (un développement basé sur une répartition équitable des richesses, une autre façon de produire et de consommer dans le respect des hommes et de l’environnement en privilégiant le développement local), des réponses sociales (une autre façon de travailler, une réduction des inégalités et des exclusions, un développement de la solidarité et du lien social …), des réponses écologiques (un développement des territoires basé sur le respect de l’environnement, dans les activités de production de biens et de services…).

Ce nouveau mode de développement doit s’appuyer sur de nouvelles formes d’organisation fondées sur une gouvernance démocratique (implication des parties prenantes : salariés, bénévoles, usagers ; transparence…) au service d’un projet collectif (réponse aux besoins des populations locales, relocalisation de l’économie, coopération entre acteurs, innovation sociale...).

L’ESS est riche de sa diversité, de sa créativité et de son innovation. Elle porte des myriades d’initiatives dans tous les territoires. Les cahiers d’espérances en témoignent.

Mais pour que l’ESS soit crédible, il faut qu’elle soit visible et il faut qu’elle change d’échelle.

Changer d’échelle oui, mais pour un projet de transformation sociale qui promeut une démocratisation de l’économie et un développement de la citoyenneté économique.

2. Changer d’échelle oui, mais pas à n’importe quel prix !

Nous avons tous conscience que croissance n’est pas synonyme de démocratie et d’équité. Nous savons que le changement d’échelle peut se faire au détriment des valeurs fondatrices.

Les 50 propositions du Labo de l’ESS ont clairement pointé les risques auxquels est soumise l’ESS : constituer un amortisseur social de la crise, être banalisé par la contrainte ou la fascination en prenant un tournant strictement entrepreneurial et en adoptant les pratiques managériales et financières de ses concurrents capitalistes (concentration des uns, disparition des autres). Ces dérives conduisent les structures à promouvoir la compétition entre réseaux et structures de l’Economie sociale et solidaire au détriment de la culture de coopération et d’intelligence collective au service des territoires et des citoyens.

Ces dangers sont aujourd’hui réels. Le capitalisme a montré tout au cours de son histoire sa capacité de récupération des idéaux sociaux et écologiques portés dans un premier temps par des femmes et des hommes engagés : dévoiement des services à la personne par de grands groupes capitalistes, récupération du commerce équitable par la grande distribution, investissement des multinationales dans les produits écologiques dans une logique unique de profit…).

Le Mouvement pour l’Economie Solidaire pointe clairement le risque d’une récupération de l’ESS au service d’une moralisation du capitalisme.

D’un côté, le social business et la responsabilité sociale des entreprises reçoivent un écho très favorable dans certains courants économiques et politiques libéraux qui voit une façon de relégitimer le capitalisme en lui donnant un visage un visage plus humain, mais sans remettre en cause ses fondamentaux. Le social business promeut la philanthropie au détriment de la solidarité. Aussi nous semble-t-il nécessaire de clarifier les valeurs portées par l’entreprenariat social en se démarquant clairement de l’économie responsable et de la RSE.

Pour autant, des alliances entre entreprises responsables, fondations privées peuvent tout à fait se nouer avec des entreprises solidaires à condition qu’elles ne portent pas atteinte à leur autonomie.

D’un autre côté, les grosses structures de l’économie sociale (notamment certaines grandes banques coopératives, mutuelles et grosses coopératives agricoles) se sont considérablement institutionnalisées. Elles ne gardent de l’économie sociale que la référence aux statuts et coexistent parfaitement avec le modèle économique dominant. Elles ont parfois des pratiques similaires aux entreprises classiques. Il appartient à l’économie sociale de revenir également à ses fondamentaux en reposant l’utilité sociale de ses structures.

De son côté, l’économie solidaire porte en elle-même les risques d’une marginalisation, d’un éclatement et d’un essoufflement. L’économie solidaire est composée principalement de petites structures créées en réponse à des besoins locaux, impulsées par des citoyens, aux moyens financiers limités et qui peinent à s’inscrire dans un mouvement plus large. Elle est porteuse d’innovations et joue souvent un rôle d’aiguillon pour les autres composantes de l’ESS. Mais elle est également traversée de contradictions et ne peut faire entendre sa voix toute seule.

3. Constituer des alliances sur des bases claires

En s’investissant dans les Etats Généraux de l’ESS, le Mouvement pour l’Economie Solidaire a fait le choix de s’engager dans une démarche unitaire visant à promouvoir l’économie sociale et solidaire. L’ensemble de ses membres a porté ce projet régionalement (ACPES, CESIF, APEAS, APES, ADEPES, ARDES, CRE-SOL…) et nationalement CNLRQ, UFISC...)
Pour porter un projet de transformation sociale, il faut dans un premier temps constituer des alliances entre les différentes composantes de l’ESS pour faire mouvement autour d’un projet commun et des valeurs partagées. Il faut notamment s’appuyer sur la dynamique unitaire qui s’est constitué dans les territoires entre les CRESS, les membres du MES et les collectivités du RTES et d’autres réseaux régionaux dans le domaine de la consommation responsable, de l’éducation populaire, du développement local ou de l’insertion par l’activité économique.

Cette dynamique unitaire doit être renforcée après les Etats Généraux de manière durable et faire l’objet d’une convention nationale et de conventions de coopération dans chaque région. Les réseaux signataires autant au niveau national que régional doivent s’engager clairement à communiquer largement sur cette volonté unitaire. Ces conventions devront décliner des actions de coopération affirmées et concrètes sur les territoires (exemple : le MES propose la BDIS, Base de données des Initiatives Solidaires, un outil de promotion et de mise en lien des acteurs de l’ESS).

Dans un second temps, nous devons nouer des alliances fécondes au-delà de l’économie sociale et solidaire :

  • avec de nouvelles collectivités territoriales souhaitant s’impliquer dans le développement de l’ESS,
  • avec les syndicats qui défendent les salariés et sont parties prenantes du dialogue social et de la réflexion sur la qualité du travail,
  • avec des entreprises et des comités d’entreprises qui souhaitent développer des bonnes pratiques dans le domaine social et environnemental,
  • avec les chambres consulaires (Commerce et Industrie, Métiers, Agriculture) dans des partenariats de développement territorial durable et solidaire.

Et nous devons renforcer les liens existants avec les collectivités déjà impliquées dans des politiques publiques d’Economie sociale et solidaire, avec les mouvements de consommateurs qui réclament une traçabilité des produits et une garantie de la qualité des produits et des services et les ONG impliquées dans la Solidarité Internationale.

Propositions pour changer d’échelle

Les propositions se dégageant des cahiers sont riches et nombreuses. Il nous semble important de définir celles qui sont les plus percutantes pour faire mouvement, convaincre l’opinion et influencer les décideurs.

1. Défendre l’intérêt général

  • Proposer une Loi sur l’Economie Sociale et Solidaire (cf. proposition portée par l’association RECIT dans les cahiers d’espérance) créant un cadre législatif et réglementaire qui sécurise les structures d’économie sociale et solidaire menant des activités économiques, au service du bien commun, avec une gestion désintéressée et une démarche solidaire.
  • Agir pour la défense des associations citoyennes : pour que le régime antérieur des subventions (circulaires de 2000, 2002, 2007) continue de s’appliquer aux activités non lucratives, en l’occurrence en matière de subventions de l’État et de conventions pluriannuelles d’objectifs, et pour la mise en place des modèles de conventions pluriannuelles d’objectifs simplifiés (par rapport à celui proposé par la circulaire du 18 janvier 2010), adaptés à la taille des petites et moyennes associations, la finalité de leur action et la nature de leurs activités (proposition portée par le collectif des associations citoyennes)
  • Œuvrer pour une co-construction des politiques de l’ESS entre les pouvoirs publics et les acteurs de l’ESS : définition conjointe des critères permettant de définir le périmètre de l’ESS, définition de méthodes d’évaluation de l’utilité sociale, définition d’un plan d’actions en faveur du Développement Régional de l’ESS, mise en place de délibérations cadres par les collectivités locales permettant de préciser les « services d’intérêt général » (SIG) que la collectivité considère comme des SIEG (Services d’Intérêt Economique Général) afin de les protéger du « tout marché concurrentiel », en accompagnant cette délibération cadre du détail du cadre territorial dans laquelle elles s’exercent, intégration dans les marchés publics de critères sociaux-responsables en allant au delà des clauses sociales actuelles (insertion, handicap…) sur les plans qualitatif et quantitatif.
  • Agir pour la préservation et la création d’emplois au service de l’intérêt général : Soutien des pouvoirs publics à la création d’emplois au service de l’intérêt général : insertion par l’activité économique, services à la personne, développement durable, consommation responsable…
  • Se mobiliser pour la défense des services publics, pour une équité et une accessibilité pour tous à ces services : Agir contre le démantèlement du service public de par la privatisation des services d’intérêts généraux et le départ d’un fonctionnaire sur deux à la retraite (cf RGPP)

2. Relocaliser l’économie

  • Œuvrer pour la souveraineté alimentaire et pour une alimentation de qualité : Développer l’agriculture paysanne et biologique à la fois par la commande publique (restauration scolaire...) et privée (paniers coopératifs) avec un modèle économique pérenne pour les agriculteurs, préserver la biodiversité, préserver et développer le foncier agricole
  • Développer les circuits courts dans une démarche sociale et environnementale : partenariats locaux entre producteurs et consommateurs (AMAP, AMACCA…), favoriser le développement de productions locales de qualité et les circuits de distribution alternatifs à la grande distribution, démocratiser l’accès aux produits de qualité
  • Construire des filières locales et équitables  : Favoriser le commerce équitable de proximité en construisant des filières équitables à l’échelle des territoires
  • Développer des services de proximité et solidaires : Permettre l’accès au logement, développer les services à la personne, créer des réseaux de santé accessibles, développer les transports coopératifs et écologiques…
  • Développer des monnaies sociales et complémentaires locales répondant à des besoins spécifiques

3. Développer la coopération

  • Promouvoir les pôles de coopération économique par filière ou par territoire  : favoriser les regroupements ensembliers ou clusters, les filières durables, les coopérations multi-secteurs
  • Développer des centres commerciaux éthiques : expériences pilotes à Marseille et en Bourgogne
  • Mettre en place des monnaies sociales et complémentaires notamment pour développer les échanges solidaires entre les différentes parties-prenantes de l’économie solidaire
  • Développer des structures coopératives à plus value sociale et environnementale : SCOP, SCIC, CAE, et des formes de coopération innovantes (grappe d’entreprises de l’ESS, structures à gouvernance partagée...)
  • Mettre des outils coopératifs au service de l’ESS en s’appuyant sur les logiciels libres : plateforme collaborative (expérience en Auvergne), base de données des initiatives solidaires (BDIS)….

4. Promouvoir un nouveau modèle économique, sortir de la démesure

  • Proposer des mesures chocs portant sur la taxation des transactions financières, les stocks option, les paradis fiscaux, et favoriser la transparence et le développement de banques citoyennes et de la finance solidaire
  • Promouvoir des échanges équitables entre acteurs économiques : commerce équitable, promotion de filières équitables
  • Réduire les écarts de salaire, instaurer une transparence sur l’ensemble des rémunérations perçues : instituer une échelle de salaire permettant de réduire les inégalités flagrantes entre les plus riches et les plus pauvres
  • Améliorer la qualité du travail dans les entreprises de l’ESS : favoriser le dialogue social, l’implication des salariés, lutter contre la souffrance au travail
  • Favoriser la constitution et la préservation de patrimoines collectifs : veiller à ce qu’il y ait une répartition équitable des richesses dans les projets économiques ; réinvestir les excédents pour développer les activités mais aussi pour améliorer les conditions de revenu et de travail
  • Veiller à un équilibre des territoires, où chacun puisse être partie prenante d’un développement territorial solidaire,
  • Lutter contre les exclusions et les discriminations face à l’emploi et à l’activité, ou face à la culture, la formation …

5 . Sensibiliser à l’ESS par un développement de l’éducation populaire et un accès à la culture pour tous et accompagner les futurs acteurs de l’ESS

  • Sensibiliser les jeunes à l’ESS et au développement durable : dans les programmes de l’Education Nationale, dans des actions d’éducation populaire, en créant des outils pédagogiques et par l’utilisation des TIC
  • Renforcer les dispositifs d’accompagnement aux projets d’ESS : soutenir les actions permettant d’accompagner les porteurs de projet dans la mise en œuvre d’actions solidaires et collectives, de l’émergence du projet à la création et au développement d’activités
  • Développer la diversité culturelle en défendant notamment les productions indépendantes et en soutenant les initiatives créatrices d’expression et de lien social

L’après Palais BRONGNIART

1. Premier bilan de la première étape des Etats Généraux de l’ESS

  • Les points forts de la dynamique des Etats Généraux
    • une implication de nombreux réseaux de l’économie sociale et solidaire dans la dynamique des Etats généraux, démontrant ainsi la volonté de faire changer l’ESS d’échelle
    • une richesse et une diversité des contributions réalisées à travers les cahiers d’espérance provenant de toute la France
    • Une dynamique collective et unitaire dans une dizaine de régions de France
  • Les limites de la dynamique des Etats Généraux
    • une difficulté à sortir de l’entre soi, certainement lié au calendrier serré des Etats Généraux, et à la difficulté historique des composantes de l’ESS à coopérer
    • une gouvernance souvent très centralisée se manifestant par des réunions et des décisions toutes prises à Paris, un comité de pilotage ne prenant pas de réelles décisions et un manque de clarté entre le rôle du COPIL et du Labo de l’ESS
  • de nombreuses régions n’ayant pas réussi à faire mouvement dans une dynamique unitaire et coopérative
  • Ce qu’il reste encore à faire

Nous avons des multitudes de contributions, mais il nous manque une synthèse et des propositions symboliques (un manifeste ou un programme) que nous souhaitons communiquer au grand public et sur lesquelles nous souhaitons interpeller les décideurs

Pour sortir de l’entre soi, nous devons faire connaître nos actions et porter nos propositions bien au-delà des frontières de l’ESS.

Enfin dans la lignée de la dynamique unitaire dans les territoires, nous devons consolider les alliances qui ont été construites sur le terrain notamment entre les membres du MES, les membres du CNCRES et les collectivités du RTES, mais aussi avec de multiples réseaux territoriaux et thématiques sur un programme d’action partagé.

2 . Nos propositions

  • Capitaliser toute la matière qui ressort des cahiers d’espérance ; en faire une synthèse, et en extraire des propositions symboliques
    Période : Juillet – octobre 2011
  • Influencer les décideurs : porter ces propositions dans le débat présidentiel en organisation des réunions dans les territoires et à l’échelle nationale organiser une réunion rassemblant les élus des collectivités locales autour de l’ESS
    Période : Octobre 2011 – mars 2012
  • Convaincre l’opinion : faire connaître nos propositions au grand public par des évènements médiatiques organisés localement et nationalement
    Exemple : une manifestation pendant le mois de l’ESS, une journée d’action ESS au premier trimestre 2012…
  • Faire mouvement : consolider et approfondir la dynamique unitaire dans les territoires à laquelle ont participé des réseaux d’acteurs et des collectivités locales. Transformer l’essai en voyant comment les propositions portées dans les cahiers d’espérance peuvent se matérialiser à l’échelle locale. Poser les jalons d’un véritable mouvement susceptible de porter les propositions de l’ESS.

3. La méthode proposée

Il faut d’abord reposer la question de la gouvernance des Etats généraux. Il appartient de redonner au COPIL un véritable rôle de direction.
Dans tous les cas, les modalités de décisions doivent se faire dans la plus grande transparence.

La validation d’un manifeste devra être réalisée en assemblée très large impliquant tous les acteurs ayant participé à la mobilisation dans les territoires.

La synthèse et l’élaboration d’un manifeste pourraient être réalisées par un groupe de travail réunissant les différentes parties prenantes des Etats Généraux.

Le site internet et la plateforme collaborative doivent être maintenus. Mais ils doivent évoluer en fonction des nouveaux besoins.