Dans un article paru sur le blog de Paul Jorion, Jean Michel Servet réagit à l’ouvrage de Jean Tirole, prix Nobel d’économie Économie du bien commun,
[...] le professeur Tirole a joué un rôle très actif auprès du gouvernement français et de la présidence de la République dans l’échec de la mise en place dans les universités françaises de deux sections concurrentes de la discipline économie : un courant de sciences économiques mainstream et un courant d’économie politique hétérodoxe soucieux d’intégrer les dimensions sociales et historiques des pratiques économiques. Pourquoi la concurrence n’aurait-t-elle pas été là aussi une émulation pour la progression des savoirs et la qualité de la formation des étudiants ? Faites ce que je dis et non ce que je fais serait-il son adage ?
[…] Les communs posent de façon nouvelle la question des droits d’usage, de la mutualisation des activités en dépassant celle de la complémentarité et l’opposition des interventions publiques et privées.
[…] Quand emprunts à d’autres disciplines sont faits par l’auteur, ils servent essentiellement à conforter l’autosuffisance de la discipline économie et non à reconnaître les limites et la relativité de ses hypothèses fondatrices.
[…] l’exploration d’autres voies est urgente. Parmi celles-ci il y a celle de la mutualisation. Elle est caractérisée par des logiques de solidarités non seulement en matière d’échange et de financement mais aussi de production. Elles sont aussi soumises à un principe de subsidiarité ascendante permettant de répondre démocratiquement aux défis locaux et globaux contemporains.
[…] La préférence pour l’expertise au détriment de la démocratie, jointe à l’oubli de la sympathie des néolibéraux pour des régimes politiques autoritaires voire fascistes (au nom d’une prétendue efficacité économique), risquent fort de nous précipiter vers des ténèbres pendant quelques décennies.
Jean Michel Servet souligne l’arrogance d’un économiste qui considère que seules les potions concoctées dans les officines des « vrais économistes » sont en mesure de faire face aux urgences de notre temps, parce qu’elles seraient seules à porter le seau de la science.
On passe la vitesse supérieure avec Pierre Cahuc et André Zylberberg qui dans leur dernier livre, assimilent toute pensée économique hétérodoxe à un « négationnisme économique ».
L’utilisation d’un terme aussi fortement connoté n’est évidemment pas neutre et selon André Orléan qui leur répond dans un article paru dans Alteréco « il y a dans le ton des auteurs comme des relents de guerre froide, de croisade purificatrice, d’ennemis irréductibles qu’il s’agit de détruire et d’exclure comme y invite explicitement le sous-titre : « comment s’en débarrasser ».
Se considérant personnellement pris à partie dans l’ouvrage, les économistes « à contre courant » qui donnent une tribune hebdomadaire dans Politis y dénoncent collectivement un ouvrage dont l’intention est clairement agressive : il s’agit de jeter le discrédit dans l’opinion publique sur l’ensemble des économistes critiques, traités de « charlatans » et de « faux savants » dans les différents chapitres du livre. On peut craindre que cet objectif soit partiellement atteint à court terme, à en juger par la manière complaisante dont les grands médias ont accueilli ce pamphlet caricatural.
Cette polémique concerne directement les acteurs de l’Economie sociale et solidaire. La haine de C&Z envers les économistes critiques est une défense de leur position dominante. Elle est du même ordre que celle de Jean Tirole et de ses alliés se mobilisant pour empêcher la création dans les universités françaises d’une section intitulée « Institutions, économie, territoire et société », qui aurait fait concurrence à l’économie dominante en développant des approches pluralistes. Tirole avait lui-même traité d’« obscurantistes » les économistes favorables à cette autre conception de l’économie.
Il n’est pas surprenant de voir surgir ce type d’anathèmes à l’heure où l’économie sociale et solidaire considérée jusque là avec condescendance comme une quantité négligeable par ces grands esprits commence à prendre corps dans le paysage institutionnel comme précisément une autre option économique dont le potentiel devient de plus en plus crédible.
Rappel des liens
[http://www.alterecoplus.fr/quand-messieurs-cahuc-et-zylberberg-decouvrent-la-science/00012139 ]
[http://www.politis.fr/articles/2016/09/negationnisme-economique-la-reponse-des-heterodoxes-35385/ ]
voir également la contribution de Christian Chavagneux
[http://www.alterecoplus.fr/negationnisme-economique-laffaire-cahuc/00012140 ]
lire également la tribune dans Médiapart signée par 22 journalistes, intitulée « Contre l’intimidation économique »